Il n’y a pas d’autre but que la Non-pensée, wu-nien (wu nian), c’est l’état suprême du Zen/Chan.
Les entretiens des sages chinois d’autrefois ont inspiré de remarquables études contemporaines, je pense à l’excellent livre de Yen Chan « La voie du bambou ».
Yen Chan développe avec brio la « non-pensée » évoquée dans un précédent post consacré à Chen-houei : « Anacharyakajnana, la connaissance sans maître, selon Chen-houei du Ho-tsö », alias Ho-tse Shen-hui ou Kataku Jin’e au Japon)
Yen Chan rappelle ce que disait Chen-houei (Shen Hui) :
« Losqu’on voit Wu nian, on est maître de toute chose (de tous les dharma), lorsqu’on voit Wu nian, on embrasse toute chose.
Cette pensée (wu nian, non-pensée) est la pensée-un de la tathata (de « l’absolu »).
Selon Yen Chan :
« Dans la recension la plus ancienne des prajñapâramitâ on trouve mention cittam acittam, la « pensée non-pensée », traduit parfois par « conscience qui est absence de conscience ». De même, dans le célèbre « Vimalakîrtinirdesasûtra », il est posé une pensée originellement et naturellement pure, non différente de la tathatâ (Ainsité, zhen ru). Selon Vimalakîrti, cette pensée qui ne s’écarte pas de la tathatâ est une simple non-existence (abhâvamâtra), une pensée non-pensée. Dans le « Vajrasamâdhisûtra », le « Jin gang san mei jing », texte chinois antérieur au VIIe siècle et d’inspiration taoïste, on trouve déjà plusieurs notions importante comme wu nian (non-pensée), wu xin (apparenté à wu nian), dhyâna « mobile » (dong) et « immobile » (bu dong), shou xin (proche du terme « shou yi » taoïste, « garder l’Un »), qui feront fortune dans l’école chan. Dans d’autres textes, en particulier ceux des écoles vibhajyavâdin et darstantika, également dans la lignée de Vasumitra, on parle d’une « pensée subtile », sukshmacitta, sukshmasukshma, « toute subtile », xi xin en chinois.
Ailleurs, on évoque une « pensée non manifeste », aparisphutamanovijñâna, une différenciation qui ne se manifeste pas, une discrimination non discriminante, une « connaissance sans différenciation », nirvikalpajñâna. Le célèbre Asanga, de son côté, affirme qu’il s’agit « ni d’une pensée ni d’une non-pensée », son frère Vasubandhu d’« une pensée exiguë ». Dans les textes de l’école yogâchâra (Mahâyâna), wu nian est en relation avec l’âlayavijñana, traduit par Lilian Silburn par « conscience de tréfonds », l’inconscient bouddhique ; c’est la pensée subtilisée à l’extrême qui parfume à l’état de germe l’âlayavijñana.
Les taoïstes et les adeptes du tian tai utilisent le terme de « yi nian », « pensée-une » et Shen Hui (Chen-houei), septième patriarche du Chan, parle, pour qualifier wu nian, d’« absence de pensée au sein même de la pensée ».
Au concile de Lhassa, est signalé le fait que wu nian est moins un non-pensé qu’une « production instantanée et ininterrompue », nian nian, pensée après pensée, instant après instant, pensée-éclair spontanée. En chinois, on parle de wei shi, « conscience externe », c’est la vijñaptimâtratâ sanskrite des vijñanavâdin décrite comme « activité qui fait seulement connaître, sans plus », impersonnelle conscience d’ainsité.
Bref, il apparaît que cette « non-pensée », ce « non-mental », wu nian/wu xin, est en fait une pensée, car absence de pensée signifierait mort, mais une pensée discrète, « toute menue », sans notion, pensée pure, un oubli ou « un dépôt de la pensée au sein même de la pensée », comme disent les taoïstes. En sanskrit, elle est traduite par a-smrti « non-attention vigilante » et par acitta « non-mental », en chinois wu xin. Certains donnent la traduction anâtman, ou plus précisément nairâtmya (insubstantialité) pour wu nian. »
Yen Chan « La Voie du Bambou, Bouddhisme, Chan et Taoïsme ».
Les livres cités par Yen Chan :