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Friday, December 13, 2024

Illusion des aides extérieures, du salut et des voies




La nonne joyeuse


"il n'y a aucune voie vers la délivrance, puisque nous n'avons jamais été asservis... il n'y a à aller nulle part, il n'y a rien à faire. L'homme n'a rien à « faire » directement pour éprouver sa liberté totale et infiniment heureuse.

Ce qu'il a à faire est indirect et négatif. Ce qu'il a à comprendre c'est l'illusion décevante de toutes les voies qu'il peut se proposer. Lorsqu'il aura dévalorisé la notion même de toutes les voies imaginables, alors éclatera le « satori», vision réelle qu'il n'y a pas de voie, parce qu'il n'y a à aller nulle part, parce que de toute éternité on était au centre unique et principiel de tout." Dr. Hubert Benoit, La Doctrine Suprême.


Illusion des aides extérieures, du salut et des voies


Par Robert Linssen


Dès l'instant où la personnalité de ce que l'on désigne imparfaitement comme le « fondateur » d'une religion devient plus importante que l'enseignement de celui-ci toutes les déviations sont possibles.


La déification progressive du maître lui conférera peu à peu le caractère d'unique sauveur. Aux yeux de ses fidèles plus aucun salut n'est possible en dehors de la seule voie qu'il représente.

La position des maîtres du Ch'an et du Zen est très différente des notions de « salut », familières au Christianisme.

Nous reproduisons ci-après ce qu'écrit le professeur D. T. Suzuki à ce sujet :

« Pour comprendre pleinement les éléments constituants de toute religion existant et possédant une longue histoire, il est opportun de discriminer entre son fondateur et son enseignement, car cette personnalité constitue un facteur extrêmement puissant qui détermine le développement de cet enseignement.

Je veux dire par là que celui qu'on nomme fondateur n'avait au début de son enseignement pas la moindre idée de créer un système religieux quelconque qui croîtrait plus tard en son nom.

L'édifice chrétien est bâti autour de la personnalité de Jésus. Les bouddhistes peuvent en accepter certains enseignements, mais tant qu'ils n'éprouvent aucune foi en Jésus comme « Christ » ou « Seigneur », ils ne sont pas chrétiens.

En d'autres termes, le Christ n'a pas fondé le système religieux qui porte son nom, mais ceux qui le suivirent firent de lui le fondateur de ce système.

De même, le Bouddhisme n'est pas sorti tout armé du cerveau du Bouddha comme Pallas Athénée du cerveau de Zeus.

Dans la mesure où le Bouddhisme est une religion vivante et non pas une momie historique bourrée de matériaux morts et dénués d'utilité, il doit être capable d'absorber et d'assimiler tout ce qui vient en aide à sa croissance. C'est ce qu'il y a de plus naturel pour n'importe quel organisme doué de vie. »

Dans la mesure où le Bouddhisme s'est éloigné de l'esprit vivant de Liberté et d'indépendance dont le Bouddha l'avait imprégné, il se rapproche des aspects actuels du Christianisme. Nous voyons en effet fréquemment dans les textes des expressions telle que : « prendre refuge dans le Dharma ». Le Ch'an et le Zen restent cependant totalement étrangers à ces notions. Il n'y a pour eux ni miracle ni interventions surnaturelles, ni voies ni refuges. Nous portons la totale responsabilité de nos actes et aucun Eveillé quel qu'il soit n'a le droit de porter atteinte à notre libre arbitre.

Nous sommes nous-mêmes à la fois les artisans de notre esclavage et de notre libération. Les chaînes de notre asservissement ont été forgées par nous-mêmes, il appartient à nous seul de les briser.

Le rôle des Éveillés consiste à nous montrer les obstacles qui s'opposent à cette libération. Cette dernière ne peut être cependant réalisée que dans le feu vivant de nos expériences, de nos joies et de nos souffrances.

Seules, l'ignorance, la paresse et la lâcheté peuvent nous inciter à rechercher des aides extérieures. Aucune sagesse authentique ne pourrait prendre la responsabilité d'engager l'homme dans une attitude d'évasion aussi nuisible à son épanouissement. Nous n'avons pas non plus de biens à acquérir, nous enseignent les maîtres du Ch'an/Zen. Nous n'avons ni à recevoir quoi que ce soit de l'extérieur, ni à construire, ni à « faire » au sens habituel de ce terme. Nous avons plutôt à « défaire » les accumulations complexes de nos fausses valeurs.

Tout est là. Nous sommes le Réel mais nous ne le savons pas, nous répète sans cesse le Ch'an/Zen. Depuis les profondeurs de l'esprit jusqu'aux structures matérielles de notre vie physiologique, rien ne nous manque. Il suffit simplement d'établir une coordination, une harmonie fonctionnelle entre les différents secteurs qui nous constituent. Le manque d'harmonie existant entre les différents niveaux de notre être, et le sens même d'une compartimentation en secteurs variés que notre esprit se plaît à créer, proviennent d'une erreur essentielle d'optique mentale. Dès que celle-ci se trouve corrigée par une et attention juste) les mirages engendrés par elle s'évanouissent.

Une seule chose nous paraît dès lors fondamentalement nécessaire : nous connaître. C'est en cela seul que réside ce que nous pourrions très imparfaitement désigner « notre salut ».

Il est inutile de rechercher quoi que ce soit en dehors de nous-mêmes car toute recherche extérieure s'effectue dans une direction radicalement opposée à celle que doit naturellement prendre notre esprit. Nous pourrions comparer le processus de développement de notre vie intérieure à celui de la croissance d'une plante devant diriger ses racines dans le sol fécond que la nature lui destine. Les profondeurs de l'inconscient et du conscient constituent pour nous ce sol fécond dans lequel doivent s'engager les racines de notre être pour dépasser cet inconscient et prendre contact avec la Réalité vivifiante de l'Intemporel. Il s'agit là d'un processus rigoureusement individuel. Toute attente du dehors, tout culte d'autorité, tout espoir en un miracle sont autant d'éléments qui paralysent le mouvement de plongée de nos racines psychiques vers le centre profond d'où émane la Vie en nous.

Si nous parvenons à la vision parfaitement claire de ce que nous sommes il ne nous est plus nécessaire « d'aller ailleurs ». Les « voies » extérieures sont à nos yeux des voies de perdition.

Ce sont elles que choisissent cependant la majorité des hommes actuels. Elles sont plus confortables et ne demandent aucun effort. Comme l'exprimait admirablement l'écrivain Ludovic Réhault, nous souhaiterions volontiers qu'on nous « conduise au Nirvâna en chaise à porteur ».

Mais la Vérité se joue de nos faiblesses, de nos mesquineries, de nos fausses valeurs. Il nous importe de nous mettre à sa mesure et non d'exiger qu'elle se mette au niveau de nos limitations.

C'est à cette seule condition que nous pouvons réaliser la plénitude de ce que de toute éternité nous étions et nous sommes. Dès cet instant, il n'existe ni sauveur, ni voie, ni salut extérieurs.

Nous disons simplement comme le diront un jour et comme l'ont dit tous les hommes, toutes les femmes de tous les peuples de la Terre, au moment de leur Éveil : « Je suis la Voie ».

Les chrétiens prétendent qu'une telle affirmation constitue une preuve d'orgueil. L'orgueil résulte d'un sens excessif de la conscience de soi. Prétendre que l'affirmation « Je suis la Voie » est orgueilleuse c'est méconnaître qu'elle ne peut être valablement formulée que par un être totalement « mort » à lui-même et délivré de tous les pièges de l'identification personnelle.

Robert Linssen

Sunday, December 08, 2024

L’inutilité des rites





La plupart des développement indiens du Bouddhisme attachent une importance considérable à la magie. Les rites magiques et tantriques se sont également développés au Tibet. Ils sont inexistant dans le Chan pur. Les sectes japonaises du Zen ont néanmoins réintroduit de nombreux rituels.

Dans l’esprit des Eveillés, tout rituel, toute pratique magique ou tantrique nuisent à la délivrance humaine. Ils indiquent que le mental est prisonnier de fausses valeurs par l’établissement de distinctions et de préférences dans le domaine où elles sont précisément le plus interdites.

Le "satori" ou expérience du Réel se réalise d’instant en instant.

L’école Sud du Chan insiste sur son caractère soudain, inattendu, spontané.

Une préparation minutieuse élaborée par le mental crée une tension intérieure nuisant à la spontanéité de l’expérience. Une attente subtile et secrète de l’inconscient paralyse toute possibilité de surgissement.

Pour cette raison les maîtres du Zen (Chan) insistent sur le fait que l’obtention du Satori peut être réalisée en toute occasions. Le salut se trouve dans les choses ordinaires de la vie quotidienne. L’existence en général cesse d’ailleurs d’être partagée entre les choses "ordinaires" et d’autres qui seraient "extraordinaires".

L’expérience ultime peut être apportée par un événement prosaïque comme la chute d’une pierre que par la vue d’une jolie fleur ou la contemplation d’un soleil couchant. L’attitude d’approche intérieure d’un événement est beaucoup plus importante que les circonstance extérieures.

"Toute perception est une occasion de Satori", nous disent les maîtres du Zen (Chan). Mais cette occasion ne peut être saisie si l’esprit est conditionné par un rituel quel qu’il soit ou par une attente quelconque.

La position dépouillée du Zen vis-à-vis des dogmes, des rites et des Ecritures est exposée dans les "Quatre maximes" qui le définissent comme :

- Une transmission orale en dehors des Ecritures.

- Aucune dépendance à l’égard des mots et des lettres.

- Se diriger directement vers l’âme de l’homme.

- Contempler sa propre nature et réaliser l’état de Bouddha ".

Il est évident que tout rituel implique une préparation, une recherche, un entraînement, une attente engendrant une attitude de tension spirituelle.

La spontanéité et le caractère de jaillissement du "Satori" sont totalement incompatibles avec de telles attitudes intérieures au cours desquelles, loin de disparaître, les résistances du "moi" se renforcent sur le plan de l’inconscient.

Source : Robert LINSSEN, "Bouddhisme, Taoïsme et Zen". (L’auteur précise : "Les enseignements auxquels nous nous référons se rapprochent d’avantage du Chan chinois que des formes actuelles du Zen japonais".)


Dans leur livre, "Qu’est-ce que le bouddhisme ?", Jorge Luis BORGES et Alicia JURADO rappellent que :

Le maître Te-Shan ne pria jamais, ne demanda jamais le pardon de ses fautes, ne vénéra jamais l’image du Bouddha, ne lut jamais les écritures et ne brûla jamais d’encens. De tels actes étaient, à son avis, d’inutiles formalités ; seule l’intéressait l’incessante et intense quête mystique.

Venus on ne sait d'où, écrits on ne sait quand, "Les propos du vieux Tcheng" affirment ceci :

L’esprit originel a toujours été présent sous vos yeux. Vous n’avez rien à acquérir pour le voir car rien ne vous a jamais manqué pour cela. Si vous en êtes incapables c’est à cause de votre incessante jacasserie avec vous-même et avec les autres. Vous passez votre temps à supposer, comparer, supputer, commenter, développer, expliquer, justifier et citer ce que vos petits esprits ont retenu et cru comprendre des Écritures et des paroles de vieux bavards tels que moi, de préférence celles de ceux à qui on a donné une fois morts, une telle autorité qu’elles ne sauraient plus désormais être mises en doute. Dans ces conditions comment pouvez-vous espérer voir l’esprit originel dans son instantanéité ?