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Thursday, February 25, 2010

Non-pensée, wu-nien


Il n’y a pas d’autre but que la Non-pensée, wu-nien (wu nian), c’est l’état suprême du Zen/Chan.

Les entretiens des sages chinois d’autrefois ont inspiré de remarquables études contemporaines, je pense à l’excellent livre de Yen Chan « La voie du bambou ».

Yen Chan développe avec brio la « non-pensée » évoquée dans un précédent post consacré à Chen-houei : « Anacharyakajnana, la connaissance sans maître, selon Chen-houei du Ho-tsö », alias Ho-tse Shen-hui ou Kataku Jin’e au Japon)

Yen Chan rappelle ce que disait Chen-houei (Shen Hui) :

« Losqu’on voit Wu nian, on est maître de toute chose (de tous les dharma), lorsqu’on voit Wu nian, on embrasse toute chose.
Cette pensée (wu nian, non-pensée) est la pensée-un de la tathata (de « l’absolu »).

Selon Yen Chan :

« Dans la recension la plus ancienne des prajñapâramitâ on trouve mention cittam acittam, la « pensée non-pensée », traduit parfois par « conscience qui est absence de conscience ». De même, dans le célèbre « Vimalakîrtinirdesasûtra », il est posé une pensée originellement et naturellement pure, non différente de la tathatâ (Ainsité, zhen ru). Selon Vimalakîrti, cette pensée qui ne s’écarte pas de la tathatâ est une simple non-existence (abhâvamâtra), une pensée non-pensée. Dans le « Vajrasamâdhisûtra », le « Jin gang san mei jing », texte chinois antérieur au VIIe siècle et d’inspiration taoïste, on trouve déjà plusieurs notions importante comme wu nian (non-pensée), wu xin (apparenté à wu nian), dhyâna « mobile » (dong) et « immobile » (bu dong), shou xin (proche du terme « shou yi » taoïste, « garder l’Un »), qui feront fortune dans l’école chan. Dans d’autres textes, en particulier ceux des écoles vibhajyavâdin et darstantika, également dans la lignée de Vasumitra, on parle d’une « pensée subtile », sukshmacitta, sukshmasukshma, « toute subtile », xi xin en chinois.

Ailleurs, on évoque une « pensée non manifeste », aparisphutamanovijñâna, une différenciation qui ne se manifeste pas, une discrimination non discriminante, une « connaissance sans différenciation », nirvikalpajñâna. Le célèbre Asanga, de son côté, affirme qu’il s’agit « ni d’une pensée ni d’une non-pensée », son frère Vasubandhu d’« une pensée exiguë ». Dans les textes de l’école yogâchâra (Mahâyâna), wu nian est en relation avec l’âlayavijñana, traduit par Lilian Silburn par « conscience de tréfonds », l’inconscient bouddhique ; c’est la pensée subtilisée à l’extrême qui parfume à l’état de germe l’âlayavijñana.

Les taoïstes et les adeptes du tian tai utilisent le terme de « yi nian », « pensée-une » et Shen Hui (Chen-houei), septième patriarche du Chan, parle, pour qualifier wu nian, d’« absence de pensée au sein même de la pensée ».
Au concile de Lhassa, est signalé le fait que wu nian est moins un non-pensé qu’une « production instantanée et ininterrompue », nian nian, pensée après pensée, instant après instant, pensée-éclair spontanée. En chinois, on parle de wei shi, « conscience externe », c’est la vijñaptimâtratâ sanskrite des vijñanavâdin décrite comme « activité qui fait seulement connaître, sans plus », impersonnelle conscience d’ainsité.

Bref, il apparaît que cette « non-pensée », ce « non-mental », wu nian/wu xin, est en fait une pensée, car absence de pensée signifierait mort, mais une pensée discrète, « toute menue », sans notion, pensée pure, un oubli ou « un dépôt de la pensée au sein même de la pensée », comme disent les taoïstes. En sanskrit, elle est traduite par a-smrti « non-attention vigilante » et par acitta « non-mental », en chinois wu xin. Certains donnent la traduction anâtman, ou plus précisément nairâtmya (insubstantialité) pour wu nian. »

Yen Chan « La Voie du Bambou, Bouddhisme, Chan et Taoïsme ».


Tuesday, February 23, 2010

Anâchâryakajnâna, la connaissance sans maître


Selon Chen-houei du Ho-tsö, (668-760), traduction annotée de Jacques Gernet.

Le maître de la loi Tche-tö (1) demanda :

« Vous enseignez aux êtres, maître de dhyâna, à ne chercher que l’illumination subite. Pourquoi ne pas leur enseigner à se cultiver graduellement au moyen du Petit Véhicule ? Ayant à faire l’ascension de la terrasse à neuf gradins (2), comment serait-on capable d’y monter sans passer par les degrés successifs ?

- Ce dont on fait l’ascension avec crainte (c’est-à-dire graduellement), ce n’est pas la terrasse à neuf gradins. Ce dont on fait l’ascension avec crainte, ce n’est qu’un vilain tertre de terre accumulée. Si c’était véritablement la terrasse à neuf gradins, tel serait le sens de la nature subite (3). Si l’on garde sa pensée attachée au subit et que l’on fasse ainsi l’ascension de la terrasse à neuf gradins, s’il faut avoir recours aux degrés successifs, on ne touchera pas le but et l’on établira le principe du graduel. La joie (prîti) que procurent ensemble [la vue du] principe absolu et la sapience (4), voilà l’illumination subite. Comprendre sans avoir recours au graduel, spontanément (svatah) (5), voilà le sens de la nature subite. La vacuité et quiétude originelles de l’esprit propre, voilà l’illumination subite. L’absence de demeure de l’esprit propre, voilà l’illumination subite. La compréhension de son esprit propre au milieu de tous les dharma, l’impossibilité pour l’esprit de rien atteindre, voilà l’illumination subite. La connaissance de tous les dharma, voilà l’illumination subite. Entendre parler de la vacuité et sans saisir non plus la non vacuité, voilà l’illumination subite. Entendre parler du moi sans s’attacher au moi et sans saisir non plus le non moi, voilà l’illumination subite. Accéder au Nirvâna sans rejeter la renaissance et mort, voilà l’illumination subite. C’est pourquoi le soutra (6) dit : « Il y a une connaissance spontanée (svayambhûjâna), une connaissance sans maître (anâchâryakajnâna). » Ceux qui partent du principe absolu parviennent rapidement au chemin. Ceux qui cultivent les pratiques externes y parviennent lentement. […]
« Il est dit aussi : « Les êtres, en voyant leur nature propre, accomplissent la bodhi (7). De même, la Nâgî, en un instant, produit l’esprit de bodhi et accomplit alors l’Eveil correct. Et, voulant faire que les êtres pénètrent la connaissance et la vue du Bouddha – si l’on admet pas [que ce fût par] l’illumination subite – le Tathâgata devrait parler partout des cinq Véhicules (8). Mais, puisqu’il ne parle pas des cinq Véhicules et ne parle que d’accéder à la connaissance et à la vue du Bouddha, ce soutra (le « Saddharma pundariki sûtra »), pris dans un sens strict, ne met en lumière que la doctrine subite, ne retient que l’union née d’une pensée instantanée et n’a vraiment plus aucun recours au graduel. Union (yoga) veut dire vue de l’« absence de pensée » (9), pénétration de la nature propre, insaisissable (anupalabhya) et l’insaisissable, c’est le dhyâna du Tathâgata. Wei-mo-kie (Vimalakirti) dit : « Je contemple le Tathâgata de la même façon exactement que je contemple l’aspect véritable de mon corps. Lorsque je contemple ainsi le Tathâgata, il ne viendra pas dans le futur, il n’est pas venu dans le passé et ne demeure pas dans le présent (10). » C’est parce qu’il y a non demeure (asthâna) qu’il y a dhyâna du Tathâgata. Le soutra dit aussi : « Chez tous les êtres, le nirvâna originel et la nature de sapience sans souillure sont foncièrement et d’eux-mêmes présents au complet. » Qui veut bien distinguer son esprit propre, manifester et promouvoir en lui l’union avec le principe absolu, doit quitter l’esprit (citta), le mental (manas), la connaissance (vijnâna), les cinq dharma (11), les trois natures propres (12), les huit connaissances (13) et les deux non moi (14). Il doit quitter la vue externe et la vue interne, l’être et le non être et il parvient alors à l’égalité d’esprit (samatâ) finale, il est plongé dans une quiétude constante, il atteint l’immense, l’illimité, le permanent et l’immuable. […]

S’il en est qui, accroupis (15), figent leur esprit pour entrer en concentration, fixent leur esprit pour regarder la pureté, mettent leur esprit en mouvement pour qu’il illumine à l’extérieur, ramassent leur esprit pour avoir l’expérience intérieure, toutes ces pratiques font chez eux obstacle à la bodhi, d’où pourrait-on obtenir la délivrance ? Ce n’est certes pas en restant accroupi (16) ! Si c’était vraiment en restant accroupi, Shâriputra qui s’accroupissait dans le calme au milieu des bois n’aurait pas dû être blâmé par Vimalakîrti qui le reprit en ces termes : « C’est le fait de ne pas contempler son corps et son esprit à l’intérieur des trois dhâtu (17) qui est accroupissement dans le calme. » Ne voir, à tous moments, que l’absence de pensée, ne pas voir les particularités de son corps s’appelle concentration correcte. Ne pas voir les particularités de son esprit s’appelle sapience correcte. »



(1) Inconnu.

(2) C’est-à-dire la salle du trône impérial, le fil du Ciel étant au sommet des neuf étages que figurent les degrés de la salle.

(3) L’impensable dans le monde et l’impensable supramondain sont pour Chen-houei la réplique l’un de l’autre. Tche-tö a pris justement l’exemple qui ne convenait pas.

(4) Le texte est peu sûr.

(5) La notion du spontané est fondamentale

(6) Le « Saddharma pundariki sûtra », le « Soutra du Lotus ».

(7) Cette phrase, dans la biographie de Houei-neng, est attribuée au cinquième patriarche.

(8) Véhicules des dieux, des hommes, des Chravaka, des Pratyekabuddha et des Bodhisattva.

(9) Note de Bouddhanar : Dans son introduction Jacques Gernet explique l’expression « voir l’absence de pensée ». « On ne parvient à voir sa nature propre que grâce à une absence complète de toute activité consciente de l’esprit (manaskâra), en rejetant d’un seul coup tout le causal (pratyaya) et le fabriqué (samskrta). On atteint alors un état d’esprit transcendant qui a reçu dans l’école du dhyâna le nom technique d’« absence de pensée » (wou nien). » Gernet ajoute au sujet de l’« absence de pensée » : « Chen-houei emploie souvent comme un équivalent de l’expression « voir sa nature propre » l’expression « voir l’absence de pensée ». il y a une analogie évidente entre les conceptions de Chen-houei et celles des philosophes taoïstes : le Sage taoïste ne cherche en effet qu’à se dépouiller de tout ce qui a été ajouté à sa nature (t’ien) et l’a dépravée, rites et devoirs sociaux (li yi), vertu qui fait de l’homme un être social et sociable (jen), pour retrouver, par delà, le fondement de notre être (tsou-jan, t’ien) ».

(10) « Soûtra de la Liberté inconcevable, les enseignements de Vimalakirti »

(11) « Lankâcâtara ». Les cinq dharma sont le nom (nâma), le signe (nimitta), la distinction (vikalpa), la connaissance correcte (samyagjnâna) et l’absolu (tathatâ).

(12) Les natures créée, dépendante et accomplie : parikalpita-, paratantra- et parinispanna-svabhâva.

(13) Caksur-, çrotra-, ghrâna-, jihvâ-, kâya-, mano-, âlaya- et âdâ a-vijnâna.

(14) Nairâtmyadvaya, absence de moi en nous et dans le monde extérieur.

(15) Note de Bouddhanar : la méditation assise (tso-tch’an) plus connue sous son appellation japonaise de « zazen ».

(16) Le « Soutra de l’Estrade » : « Qu’est-ce que ton maître (Chen sieou), demanda Houei-neng à Tche-tch’eng, enseigne à ses disciples ?
- « Il leur apprend toujours à fixer leur esprit et à contempler la pureté, à rester longtemps accroupis sans se coucher. »
- Fixer son esprit et contempler la pureté, dit Houei-neng, c’est une maladie et non pas du dhyâna. Quel progrès fait-on vers l’absolu en astreignant son corps à rester longtemps accroupi ? Ecoute ma stance :
Vivant si on reste accroupi sans jamais se coucher,
Mort, on reste couché sans jamais s’accroupir.
On n’est jamais qu’un squelette puant,
Quel mérite cela assure-t-il ?

(17) Le monde du désir (kâma-dhâtu), le monde de la forme (rûpa-dhâtu), le monde du sans forme (ârupya-dhâtu).


Le livre « Entretiens du maître de dhyâna Chen-houei du Ho-tsö (668-760) », traduit et annoté par Jacques Gernet, est épuisé.

Publié en 1977 par l’Ecole Française d’Extrême-Orient, ce livre extraordinaire sera-t-il réédité ? Rien n’est moins sûr. La gouvernance mondiale utilise le néo-bouddhisme des compères rinpochés ainsi que
la mouvance New Age (Shamballa) pour contrôler les spiritualistes orientalisants. N’oublions pas qu’Alain Minc, l’homme de l’ombre de Nicolas Sarkozy, a reconnu l’existence d'un gouvernement mondial informel. "On croit qu’il n’y a pas de gouvernance mondiale, c’est faux. Il y a une forme de gouvernance mondiale sauf qu’elle n’est pas codifiée, elle est empirique, elle est implicite, mais elle est décisive." a déclaré Alain Minc au micro de Colombe Schneck, animatrice de l'émission "Les liaisons heureuses". C'était le samedi 26 septembre 2009 (France Inter). L’ancien Chan véhicule un spiritualisme libertaire puissant, capable de révéler la véritable nature de l’homme. Or, l’homme libre du Chan fait peur aux fascistes du Nouvel Ordre Mondial.

Gilles Deleuze nous avait prévenu :

« Le vieux fascisme, si actuel et si puissant qu'il soit dans beaucoup de pays, n'est pas le nouveau problème actuel. On nous prépare d'autres fascismes. tout un néofascisme s'installe par rapport auquel l'ancien fascisme fait figure de folklore. Au lieu d'être une politique et une économie de guerre, le néofascisme est une entente mondiale pour la sécurité, pour la gestion d'une "paix" non moins terrible. »

Gilles Deleuze, « Deux régimes de fous », éditions de minuit, Paris, 2003