Quelque part dans le haut Languedoc, entre ciel et terre, un mas accroché à la montagne accueille quelques bienheureux. De rares élus se délectent de magie sacrée et de dzogchen.
Le dzogchen, est une discipline méditative dans laquelle se mélangent la magie incantatoire du mantrayana, les rituels complexes du tantrisme et les thèses de l’éveil spontané héritées du ch’an chinois. Le dzogchen attire les amateurs d’ésotérisme oriental, d’initiations exotiques et de méthodes merveilleuses qui permettent d’obtenir le corps d’arc-en-ciel, le corps éternel de lumière spirituelle. C’est ce corps glorieux qui fait rêver depuis des décennies une vieille coquette qui ânonne inlassablement d’incompréhensibles litanies dans tous les stages de dzogchen de France.
Durant un week-end printanier, six adeptes, transfuges de l’église bön po plus ou moins en déliquescence, écoutent les commentaires d’un érudit français. Il expose avec clarté et une infinie patience les fondements de la voie de la "Grande Perfection", l’une des traductions du mot dzogchen. L’érudit est scrupuleux, chacune de ses explications est longuement développée avec un vocabulaire riche et précis. En outre, il est évident que l’orateur possède une expérience concrète du sujet, contrairement à la plupart des tibétologues et des lamas tibétains arrivistes en quête d’une clientèle occidentale naïve et très généreuse. La physionomie bonhomme de l’orateur et son humour font contrastes avec le sujet austère et ardu qu’il communique avec virtuosité. Les auditeurs sont béats d’admiration. Parmi eux figurent un couple d’enseignants à la retraite, un jeune bûcheron athlétique, une belle artiste polonaise toujours âgée de trente ans, un moine bön po désabusé qui flirte outrageusement avec le ch’an libertaire et fait fi des prières et des rituels. L’iconoclaste sulfureux sera vite congédié. Heureusement, un quinquagénaire enthousiaste, candidat à la vie monastique, portera bientôt avec plus de dignité la robe de moine tibétain dans ce cénacle raffiné. La libération ne doit pas être confondue avec le désordre et la négligence des rites. L’ordre repose sur le lama pontife, souverain des lieux . Et, son auguste séant repose sur le cousin de méditation finement brodé : le safou sacré.